Le troisième opus de la trilogie Underworld USA, qui reprend le nom de celle-ci, conclut la réécriture d’une partie de l’histoire des Etats-unis par l’un des écrivains les plus ambitieux, les plus egocentriques, de ce pays.
Pour en parler, j’ai repris de larges extraits (comme on dit) de la chronique que j’avais commise sur le site Pol’Art Noir en 2010, quelques mois après la sortie du roman.
Après un prologue en 64, nous reprenons là où Ellroy nous avait laissés. 1968, Martin Luther King et Robert Kennedy viennent de rejoindre JFK. Certains sont toujours obsédés par Cuba (notamment un certain Mesplède, un français, peut-être le frère ou l’un des descendants de celui qui apparaissait chez Lehane dans Un pays à l’aube ; peut-être des cousins ou des oncles d’Amérique de notre Claude Mesplède national), d’autres sont obsédés par l’argent et la poule aux œufs d’or de l’époque, Howard Hugues. Le pouvoir est le moteur de bon nombre d’entre eux.
Une fois de plus, Ellroy nous propose de suivre l’intrigue à travers trois personnages dont les points de vue alternent, un agent fédéral, Dwight Holly, proche de ce Hoover que nous retrouvons aussi, bien évidemment (que seraient les Etats-Unis et la trilogie Underworld USA sans ce grand malade ?), un ancien flic, Wayne Tedrow, chimiste à ses heures et déjà croisé dans le précédent opus, American Death Trip, et, enfin, un détective, Don Crutchfield, jeune et obsédé, qui fait tellement penser à la description qu’Ellroy a fait de lui-même dans Ma part d’ombre, et qui se retrouve embringué dans toutes les histoires qui vont jalonner ce pavé qu’Ellroy nous offre.
Cette sainte trinité qu’Ellroy affectionne, rencontrée dans tous ses romans depuis Le grand nulle part, trinité qu’il maîtrise particulièrement, Ellroy va en jouer, s’en démarquer, la triturer, pour mieux y revenir.
L’époque est pourrie, le président qui se fait élire, Nixon, est à l’avenant, il fera plus tard parler de lui, se fera prendre, on le sait tous. Les extrémistes sévissent partout, le terrorisme s’annonce, un terrorisme intérieur, de gauche comme de droite. Et la balance, l’histoire, le point de vue, va petit à petit pencher, s’incliner vers la gauche, Ellroy ayant déjà tellement exploré l’autre bord.
Les femmes deviennent des personnages importants, politisés et actifs… Les femmes et le vaudou.
Ellroy bouscule tout comme il avait déjà tellement bousculé son pays et son histoire dans les deux premiers opus de la trilogie, il bouscule même l’univers qu’il nous offrait jusque là.
Est-ce un jeu ? Ellroy joue-t-il avec nous ou est-ce qu’il ne lui restait plus que ça à dézinguer après avoir tellement dézinguer son pays ? Se dézinguer ?
Le roman noir d’une époque s’achève, l’avenir est loin d’être radieux. Nous avons suivi l’écroulement d’une nation, sa perdition et tout cela se finit en mai 1972, au lendemain de la mort de Hoover et à la veille d’une affaire politique qui va faire chuter un président, rien que ça. Ça s’arrête là et nous n’en pouvons plus. Ellroy nous laisse lessivés, épuisés…
C’est un livre exigeant, bien sûr, comme toujours, auquel il faut parfois s’accrocher, huit cent pages ça demande une certaine volonté, mais Ellroy nous donne tant en retour… Exige tant de lui, on le sent, on le sait…
Ellroy a trituré son univers, l’histoire de son pays. Il a affirmé une vision de sa nation et va continuer, on le sait désormais, à s’ébattre dans ce monde fictif qu’il s’est créé. Il va resserrer le plan, resserrer le cadre, pour revenir à Los Angeles. Los Angeles dans les années quarante, avec un nouvel éclairage sur ces personnages qu’il nous a offerts lors de ses deux dernières séries…
Il faudra juste être patient.